vendredi 15 février 2008


La fenêtre est ouverte sur la nuit tombante, quelques moteurs lointains et plus proche, un aboiement de chien de ferme. Le chien noir des voisins, attaché à cette longue chaîne qui soulève la poussière dès qu'il bouge. A chaque fois qu'elle le caresse, elle se rappelle trop tard que l'odeur est tenace sur la main.
Plus près. À quelques mètres en dessous, une télévision allumée face à un homme endormi. Il s'endort toujours devant et la rejoint quand elle est en plein rêve, déjà loin.
Elle se demande si la télévision aura raison de leurs corps. Le vent passe un peu fort sous sa fenêtre. Une douleur vive et éphémère traverse le côté droit de son ventre. Instantanément la peur de finir comme son aïeule s'imprime en elle: cancer du colon. 
La nuit avance, La télévision est toujours allumée, l'homme endormi. 
Elle s'étire, se sent bien.
Elle inspire en contractant le périnée. 
Il y a eu du changement dans cette région-là, le passage l’a transformée, est ce un mal? Le souffle calme de sa fille à quelques mètres de son lit répond immédiatement. 
Elle descend les escaliers de pierre à petits pas de ses petits pieds nus. Elle tend le cou au-dessus de lui pour voir son visage. À la télévision défilent des images qui lui font peur. Comme un film de Cocteau, en surimpression une litanie sur un ton très années cinquante. Une maladie qui ronge, des visages monstrueux à jamais, des murs décrépis, des couleurs passées, encore ces visages et des moignons. 
Changer de chaîne, pas de cauchemars télé-induits. L’image fixée de ces grands malheurs que plus rien ne changera, non. Le protéger.
Elle se promène dans les grandes pièces de cette maison qui les abrite depuis 6 ans, éteint les lumières, ferme les fenêtres et va respirer un peu l’air de la terre à sa porte. C’est à ce moment-là, seule face à la nuit, nue et réceptive, que les odeurs de ce lieu viennent se présenter à elle : terre et mer mêlées. Parcourue de frissons, les premiers signes de l’automne, elle tire doucement la porte et tourne la clé. 
Quelques gorgées au robinet de la cuisine et l’inox de l’évier lui barre le ventre de froid. Elle garde un peu l’eau en bouche et l’avale juste avant qu’elle ne se réchauffe. Elle n’a pas parlé depuis si longtemps ; sa langue sèche, l’intérieur de ses joues se rigidifie. Son cœur, lui, gonfle. Elle capte tant de choses depuis qu’elle s’est tue. Elle sourit. Fort, à tout ce qui l’entoure. Une caresse au chat enroulé sur un fauteuil. Un sourire de chat, c’est bon. Elle écoute encore un peu l’homme qui dort, baisse un peu le son de la télévision et passe les doigts dans ses cheveux épais d’homme. Respirer le parfum qui monte jusqu’à elle. Elle monte ensuite les marches lisses et glacées. La respiration de son enfant est comme une caresse de l’intérieur qui vient chatouiller les entrailles, ivresse intime, ce simple bonheur de savoir que l’enfant est en paix, rend la vie belle. Souhaiter que ce moment privilégié entre tous, sentir tous ses cœurs battrent en mesure, que ce moment devienne un point unique, immuable, éternel et moment étalon de sa vie. 
Elle inspire aussi au-dessus du lit miniature, et quand la chaleur enfantine est au fond d’elle, elle va se glisser dans son grand lit que le vide a refroidi, ferme les yeux et s’endort presque aussitôt, telle une ogresse repue de jouissance.